Si l'on pouvait forcer la sublimation à loisir, il y a beau temps que cette possibilité aurait été employée. Je crois que l'on doit d'abord essayer de mieux la comprendre, de comprendre ses manifestations, ses différents effets, et les actes que nous commettons, pour des résultats qui semblent le fruit de la sublimation. Je pose l'hypothèse que, dès lors qu'ils sont repérés, le conscient peut entrer en jeu, en décidant de les utiliser pour, en quelque sorte, créer une "aspiration", favoriser sa canalisation vers des objets favorables à la régénération de l'énergie employée. Voyons où cela nous mène.
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J'ignore si tout être possède les qualités psychiques nécessaires à la sublimation, et ici encore, je prendrai comme mesure le "possible" auquel j'ai souvent recours, par allusion à la leçon du Docteur Pangloss à Candide. Comment mettre à profit " du mieux possible" le précieux mécanisme de la sublimation? Telle est la question que je me pose au long de ces lignes... Freud pense que seuls quelques élus y ont pleinement accès, et peut-être qu'il pêche en cela par un certain ostracisme de classe, dû à sa propre condition et à aux observations du milieu qu'il fréquentait. C'est en tout cas ce sur quoi je m'appuie pour conduire un peu plus loin mon exploration. En ramenant la présente réflexion à l'espace de la vie courante de ceux qui ne sont ni des génies de l'art, ni des génies des sciences, on trouve dans la vie de la plupart des êtres, même les plus frustes et apparemment dénués de sensibilité culturelle (la culture étant considérée ici au sens le plus large), des qualités créatives qui pourraient être mises à profit pour amorcer et encourager, voire développer la capacité de sublimation. L'un des aspect qui distingue l'être humain de l'être non humain, soit l'animal (en distinguant arbitrairement l'humain de l'animal, ce qui bien entendu prête à commentaires) est justement sa plus grande créativité. A tout instant l'humain modifie les conditions de sa propre vie, pour en "créer" de plus propices, de plus adéquates. Si la pièce dans laquelle il se trouve est parcourue d'un vent coulis qui lui donne des frissons désagréables, il sait quitter sa tâche pour aller fermer la porte ou la fenêtre afin de modifier les conditions immédiates de son existences, et en créer de plus agréable, donnant une petite satisfaction passagère au principe de plaisir.
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Je me souviens de mon grand-père, paysan rustique doté d'une immense savoir dans le domaine qui le concernait directement, soit la nature environnante, le climat, le soin des animaux, des plantes du jardin, et le feu de cheminée... le dimanche, après le repas, il s'habillait plus élégamment qu'en semaine, il "s'endimanchait", et coiffait, à la place du béret poussiéreux qui lui couvrait le chef toute la semaine, un béret impeccable d'aspect, pierre de touche de sa tenue pour aller rejoindre ses amis avec lesquels il jouait aux cartes. Cet homme qui semblait si loin de la moindre préoccupation de séduction, de style, d'image, savait poser les conditions favorables à une bonne pratique de l'amitié, susciter le respect de sa personne en commençant par la respecter lui-même (respect bien ordonné commence etc.). Prendre soin de lui participait du soin qu'il prenait du lien social, du contact avec l'Autre, et de l'estime qu'il portait à la vie. En soignant sa mise, il "créait" des conditions favorables à une après-midi de bonheur amical. Cette "récompense" qu'il s'octroyait chaque semaine était une source d'énergie claire, à laquelle il allait s'abreuver avant de reprendre le rythme exigeant du travail à la ferme, qui ne connaissait ni congés ni repos. La partie du dimanche, c'était son repos, son voyage, son loisir et son ressourcement. Lorsqu'il rentrait le soir, il était heureux, il s'était distrait, il avait joué, râlé, ri aux blagues des copains, écouté le malheur des uns et les joies des autres, quoique les confidences passaient rarement la clôture de la pudeur, chez ces messieurs. En somme, le dimanche, il avait aimé. Il avait aimé ses amis et ses amis l'avaient aimés. Et pourquoi ne dirions-nous pas qu'il avait "sublimé", puisqu'il avait investi son énergie dans un acte de création amical, création d'une tranche de vie, qui lui avait donné de la joie, de l'allant, soit un regain d'énergie. Et si, de la sublimation à l'Amour, il n'y avait qu'un tout petit pas? C'est bien celui que je vais essayer de franchir. On aurait tort de négliger cette piste. Si vous voulez bien me suivre...
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La sublimation ouvrirait donc une voie royale à l'énergie (je rappelle que le principe énergétique qui domine ici est moniste, donc en soi pas tout à fait "freudien", disons plus oriental...), je dois avant d'aller plus loin rappeler que dans son ouvrage "la technique psychanalytique", Freud met en garde contre une intervention du psychanalyste qui voudrait encourager "outre mesure" la sublimation, coupant le patient des satisfactions immédiates du désir, donc activant sa frustration. Soit, je garde à l'esprit ce conseil, qui méritera d'être considéré de plus près ultérieurement, mais vais continuer de creuser l'idée d'un encouragement à la sublimation, dont le but est une vivification de l'énergie de vie. Pour l'heure, je me contenterais de retenir que Freud, lorsqu'il admettait que le praticien puisse encoruager le patient à la sublimation, ramène celle-ci, au moins pour partie, dans l'espace conscient, puisque le moi n'a aucune prise directe sur l'inconscient. Là, le mécanisme est donc susceptible d'être accessible et pourrait donc se prêter à l'influence, à l'action, à une utilisation par l'individu, entrer dans la gamme des moyens techniques à notre disposition. Il semble, selon mes observations personnelles et celles que je peux faire lors des séances d'analyse avec une patiente ou un patient, qu'un tel recours peut difficilement être mis en service, la connaissance du processus et de ses bienfaits ne suffisant pas à l'activer, défauts qui sous-tendent certainement la mise en garde de Freud. Un encouragement trop pressant risque fort de conduire à un renoncement, à une défiance plus qu'à une adhésion. Qu'à cela ne tienne, je ne lâche pas mon idée et m'entête dans la voie empruntée ici, qui rend nécessaire une adhésion du patient à la stratégie proposée, sans que celle-ci ne fraye trop étroitement avec quelque tendance suggestive. Établir une telle base relève du tact analytique, à savoir la finesse et la justesse de l'approche de l'analyste. Quels sont les recours à notre disposition pour emprunter favorablement, avec un sérieux espoir de bénéfices en termes de bonheur, la voie de la sublimation? Il n'est pas question de poursuivre une illusion, là n'est pas notre intention. Cependant la voie créative me semble, ici encore, et je dirais presque "encore et toujours" celle qui peut le plus certainement nous conduire dans la bonne direction, celle qui permet de voir tout un chacun capable de créer les conditions de son propre bonheur, et d'œuvrer à l'embellie de celui-ci. Encore faut-il que nous ayons à notre service un moyen, un véhicule pour avancer.
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Ici, je voudrais proposer et creuser une idée qui s'est élaborée au fil des ans, fruit de mon engagement dans une vie entièrement vouée à la Poésie, au sens le plus large, le plus originel, celui du "faire", dont fait partie mon approche psychanalytique, que j'ai déjà eu l'occasion d'évoquer dans ce carnet. La création poétique ne devrait pas être ramenée à la seule production littéraire. Son champ intéresse toutes les capacités de l'âme, c'est-à-dire cette part de l'esprit qui réside dans le coeur et qui est à la conjonction des souffles telluriques, célestes et humains. Cette idée, dont je comprends que l'on puisse la trouver farfelue, dans l'ignorance de ses origines et de ce qui la soutient, a trouvé dans le livre "Malaise dans la culture" de quoi s'étayer et se renforcer. Freud parle d'une "technique de l'art de vivre" qui pourrait être la plus efficace de toutes, et offre un destin privilégié à l'énergie, tout en restant au contact de la réalité, y trouvant même ses objets. De quelle mystérieuse panacée s'agit-il donc? De l'Amour, tout simplement. Ici encore j'emploie à escient la majuscule, pour signifier que nous parlons au sens le plus large, le plus complet, le plus à distance des acceptions simplistes. Pour nous préserver des illusions, qui en matière d'amour trouvent de vastes pâturages, rappelons sans tarder la mise en garde de Freud, qui prévient que nous ne sommes "jamais plus vulnérables à la souffrance que lorsque nous aimons". Soit. Nous nous le tenons pour dit, d'ailleurs nous le savions, qui ne la sait pas? Seuls celui ou celle qui n'ont pas aimé l'ignorent. Mais prenons quelque distance avec la forme la plus débattue de l'Amour, celle qui concerne la relation amoureuse au sens commun, entre deux êtres, et qui les lie par la sexualité. Prendre de la distance ne signifie pas écarter, nous parlons de l'Amour dans toutes ses manifestations, et allons nous intéresser à sa pratique hors du champ sexuel. Je rapproche sans tarder l'Amour de la sublimation, pour essayer de voir en quoi celle-ci emprunte les voies de celui-là.
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L'Amour est le foyer énergétique le plus puissant qui soit. L'Amour en tant que force de construction, sans doute la plus proche de ce que les sagesses orientales considèrent comme la force universelle. Ceci est un autre aspect de notre sujet, sur lequel nous aurons l'occasion de nous pencher. L'amour des êtres aimés, qu'ils soient amants ou proches, familiers, enfants, amis. L'amour de ce que l'on fait. De ce que l'on est. Si nous n'avons pas de moyens pour modifier les conditions naturelles de notre vie, les forces de la nature, pas plus que nous pouvons directement lutter contre notre part de détermination venant de la génétique, nous pouvons en revanche agir sur la relation que nous entretenons aux autres et à ce que nous faisons. Pour circonscrire notre sujet, nous ne l'abordons que sous l'angle qui nous intéresse en premier lieu ici : celui qui va de soi vers l'autre.
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La lectrice et le lecteur comprendront aisément qu'à ce point de ma réflexion, j'ai besoin d'un temps de réflexion, de mener quelques recherches, avant de me lancer dans la suite du parcours... Ils me pardonneront de solliciter d'abuser encore un peu de leur patience.
à suivre, donc...
©Olivier Deck
(Les textes publiés sur itanet.fr sont "en cours", en reconsidération, correction permanentes, ils sont vivants. Ils ne se veulent ni des propositions théoriques, ni des productions définitives. Seulement d'humbles spéculations en ajustement constant, en perpétuel devenir...)
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