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AU FIL DE LA PLUME
ALLONS-Y PAR QUATRE CHEMINS
181225
Il n'est pas rare qu'une séance commence par une phrase qui sonne comme une antienne : "Aujourd'hui je ne sais pas quoi dire." Cet aveu, un rien découragé, n'est cependant pas le moins du monde décourageant dans le cadre de l'analyse.
En effet, une séance qui nous met devant une copie blanche conduit souvent à écrire les histoires perdues des recoins de la pensée, qui sont autant de reflets de forces plus profondes. L'inattendu nous attend. Quand on ne sait pas quoi dire, il suffit de respecter une règle de base : la libre association. Pour mener une analyse, il est important d'apprendre à apprécier les coqs et les ânes, et les sujets qui passent et rebondissent des uns aux autres.
Or la raison est là, à la botte des résistances, qui cherchent toujours à remettre bon ordre dans ce capharnaüm. Et les interlocuteurs, les deux pôles de l'échange intersubjectif sont bien inspirés quand ils ne laissent pas les mots-bibelots bien rangés sur les étagères de la raison. Bien inspirés, oui! Oui, il s'agit d'inspiration! Oui, l'échange analytique intersubjectif est une création en duo !
Revenons à la règle de base de la psychanalyse qui demande au patient de se livrer à la "libre association", et à l'analyste d'accueillir la parole dans une "écoute flottante". Dans la pratique, ces deux formes sont difficiles à respecter pour le patient comme pour l'analyste, car dans le travail fondé sur l'échange, s'il y a toujours un analyste et un analysant, une part de ces rôles complémentaires s'intervertit à chaque instant. Chacun est le miroir de l'autre.
Quel patient n'a jamais pensé à un certain trait psychologique de son analyste? Quel analyste n'a jamais perçu une piste nouvelle en lui, dans l'échange avec le patient? Or l'analyse, nous le savons, est la première résistance à l'analyse...
À cette difficulté, que l'on s'efforcera de retourner pour la mettre à profit, il faut ajouter le flot ininterrompu des pensées, les unes cherchant à construire, les autres à distraire, d'autres encore en écran de fumée, d'autres encore vagabondes... qui compliquent le jeu en reflet de la parole et de l'écoute.
Quand les pensées raisonnables et raisonnantes ont la priorité, que l'on pense en éléments qui s'agrègent avec une certaine logique, on offre aux résistances des conditions propices, on se fait même leur allié, à notre insu. On croit comprendre, on croit trouver, on croit avancer, et ces croyances dissimulent l'incompréhension, l'égarement, la régression. Alors quoi? On prend nos cliques et nos claques? Ce serait capituler devant les forces qui résistent et veulent empêcher aux éléments conflictuels l'accès à la lumière où elles se iront se diluer au fil du temps, comme la nuit se dilue en chaque aube nouvelle.
Quand on se livre à l'analyse, il ne s'agit pas tant de descendre profondément en soi, comme le veut une idée reçue et trop peu débattue, que de favoriser au contraire les conditions de remontée à la lumière des éléments enfouis, à l'origine du déséquilibre, qui entravent la marche vers le plaisir de vivre. Attention, nous ne sommes pas naïfs, il s'agit du plaisir de vivre dans les conditions du réel, et non dans celles de l'illusion, entretenues par des idéaux inappropriés...
Efforçons-nous de nous laisser aller. De faire confiance à ce qui jaillit de nous, comme l'eau de la roche. Abandonner l'intention. L'intention de trouver. L'intention de comprendre. Il n'y a rien à trouver, il n'y a rien à comprendre, j'y reviendrai. Le but de l'analyse n'est pas là. Pour éviter le piège, il est indispensable de libérer l'esprit de la contrainte d'efficacité, de plus en plus aliénante dans la vie actuelle, pour le laisser aller à ses divagations, à ses rêveries. Quoi de plus difficile que de déconditionner la pensée que tout concourt à aliéner sur le chemin de l'éducation et des injonctions du monde moderne, empêtré dans la pensée marchande, elle-même propulsée par l'envie de "toujours plus", dont une étude plus approfondie pourrait bien nous mener à la force d'emprise et de destruction. Ça contre Ça, dirait le psychanalyste en jouant avec les mots. Destruction de qui? De soi, et par conséquent, de l'Autre, puisque sans soi-même, l'Autre n'existe plus.
Je parlais à l'instant de rêverie. La rêverie commence à ce moment où nous libérons la pensée de son licol, pour la laisser aller librement sur les prairies du songe. Écoutons Gaston Bachelard, lorsqu'il cite Frédéric Schlegel disant du langage qu'il est une "création d'un seul jet". La rêverie est l'espace d'un langage intérieur (ou extérieur, qui sait?), l'espace où la pensée divague librement et - c'est une conviction personnelle - fait ses plus belles trouvailles. Là où elle crée. Le lieu des eurékas !
Création, oui. Improvisation sur le thème de soi. Je songe au musicien qui improvise sur son clavier et se surprend lui-même de trouvailles, d'associations de notes inattendues, qui ne se contentent pas de résonner. Elles expriment les sentiments, les émotions, les états d'être, les mouvements d'énergie qui remuent au fond de l'âme et cherchent la lumière.
Alors, quand "on ne sait pas quoi dire" au début d'une séance, convoquons la rêverie et laissons-la nous emmener au long de ses errances. Sans souci de plaire ou de déplaire. Sans souci de "trouver". Elle nous conduit en des lieux que rien ne présageait. Osons nous hasarder. J'en reviens si souvent à Don Quichotte, qui pose les rênes sur le cou de Rossinante et le laisse aller à sa guise, confiant dans l'assurance qu'il en va de la sorte pour aller au-devant des aventures. De l'Aventure. L'Aventure vers soi, qui est une aventure de soi. Oui, lorsqu'on se prête à l'analyse personnelle, on s'aventure.
Les effets d'une analyse bien menée sont subtils. On n'a rien "trouvé", on n'est même pas sûr d'avoir compris (on peut être sûr de n'avoir pas tout compris ) mais on a avancé dans la connaissance de la vie en soi, et cela porte à de nombreuses conséquences sur l'existence. On existe mieux, un peu mieux, beaucoup mieux, c'est selon. Et on ne le remarque que plus tard, dans les actes de vie. Tiens, ça a changé...
Ah, vous ne savez pas quoi dire, aujourd'hui? Peu importe, parlons de la vie ou du beau temps, du prix du gasoil ou du cours de la châtaigne... cela nous mènera quelque part. Et nous constaterons souvent que, la parole allant de-ci, de-là, une séance qui commence sans trop savoir quoi dire conduit le plus souvent à des révélations ... inédites.
à suivre...
( tous droits réservés © Olivier Deck)
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L'I.T.A. est fondée sur la métapsychologie freudienne. Elle est une méthode de psychanalyse appliquée, pensée pour le monde et l'individu actuels.
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